MARGUERITE LI-GARRIGUE
Un peu comme si Peyo & Miyazaki se croisaient pour un petit rite vaudou en chantant « CHAUD MARRON CHAUD ! », voilà le topo. À vrai dire, on ne sait pas trop ce qu’ils font là ses personnages – ses amis, nous dit-elle. Sont-ils de simples « zonards des chapiteaux » (version ancestrale du jeune de banlieue) ? Et dedans, des halos rouges, des visages bleus : il a l’air de faire chaud dans cet antre du prototuning version hammam royal. Enfin bref (Qu’est-ce que c’est ? Qu’est ce qu’elle a ? Qui c’est celle là ?... ) c’est Marguerite qui rejoue la comédie humaine version pâte à modeler (complètement gaga) ou une soirée animiste qui dégénère en une vaste macération kolkhozienne de nos Qi respectifs…


Travaille aux 13 fontaines, à Saint-Denis



3 X, pâte fimo, bois © Marguerite Li-Garrigue

Arslane Smirnov: Est-ce que faire des têtes, des corps, des personnages a toujours été une évidence pour toi ?

Marguerite Li-Garrigue: Je pense que j’ai toujours eu besoin de passer par le modelage pour essayer de comprendre ce qui se passait autour. Particulièrement les personnes qui étaient dans mon cercle proche.

A: Qu’est-ce que tu veux dire par comprendre les gens qui sont dans ton cercle proche ?

M: Je me suis toujours posé la question s’il y avait quelque chose derrière la forme de leur personne. Je voulais comprendre cette chose un peu volatile qu’est la personnalité en creusant dans la matière et en utilisant mes mains.

A: C’est de la physiognomonie ? Tu connais ce truc impossible à dire ?

M: La physiognomonie, oui (rires).

A: Tu cherches à comprendre les gens par leur attitude ou bien est-ce c’est vraiment par la forme de leur tête ? Quelqu’un qui a une tête de taureau va avoir un tempérament de taureau ?

M: Personnalité, c’est peut-être un peu réducteur par rapport à ce que j’essaie de fixer. Ce que j’essaie de comprendre, c’est comment les choses entrent en relation entre elles que ce soit ce qu’il y a devant, ce qu’il y a derrière, ce qu’il y dessus ou ce qu’il y a dessous.

A: Je vois ce que tu veux dire dans une perspective théâtrale, mais quand tu dis dessus, dessous, derrière, devant… C’est dans le sens : « Qu’est-ce que cache une personne? »

M: Je pense qu’il y a une envie de disséquer l’essence d’un personnage ou d’une personne.

A: D’où le côté grotesque, pour exacerber un trait de personnalité ?

M: C’est aussi un moyen de passer certains détails à la loupe pour comprendre ce qui pourrait être caché ou pas. Ce qui peut aussi être caché chez une personne peut s’exacerber dans la manière dont elle rencontre une autre personne, par exemple. Et le fait de leur donner des jeux simples et presque absurdes, ça permet de mettre en relief ces traits de personnalité là.

A: Est-ce que tu parles d’une pièce en particulier ou bien ça vaut pour tout ton travail ?

M: Quand je fais référence à des scénette, je pense que j’arrêterai jamais d’en faire. J’ai toujours besoin de créer plusieurs choses à la fois pour qu’elles puissent interagir. Mais quand je faisais référence aux jeux et à mes personnages, c’était plus dans mes premières pièces avec des masques. Il y avait vraiment la possibilité de les penser comme un théâtre. C’est-à-dire qu’il y avait des personnes qui pouvaient porter ces masques. Il y avait du mouvement. C’était possible de donner des instructions et d’avoir une sorte de tableau vivant. Mais je fonctionne aussi par diorama, des fois. J’essaie toujours de faire des objets qui ne soient pas « immobiles ». Même s’il est fixe dans sa forme, dans l’attitude que je vais lui donner, il y aura toujours un peu de mouvement, une sorte de mouvement de la personnalité.

A: Tu parles de performance ou de théâtre ? Est-ce qu’il y a une différence ? Et est-ce que c’est important ?

M: J’ai toujours eu un mouvement de recul par rapport au théâtre. Comment est-ce que je pourrais dire que je n’ai jamais aimé le théâtre sans le dire ? (Rires) Ça a toujours été un peu trop braillant pour moi. En même temps trop extrême et pas assez. Dans les modes de diction par exemple, j’ai toujours trouvé ça… Bah, avec l’adjectif théâtral, on a tout de suite l’image de cette personne qui pousse trop la voix, pas parce que ça rend service à la narration, mais parce que c’est un motif. Et je suis plus fâchée avec les motifs du théâtre qu’avec ce que le théâtre peut montrer ou dire. Par contre, j’ai été agréablement surprise par Markus Öhrn. Je sais pas si tu connais. C’est un metteur en scène suédois ou finlandais, enfin qui vient de là-haut où il fait frais. J’avais bien aimé la manière qu’il avait de travailler des personnages qui s’intégraient à la mise en scène. Avec des masques qui sont tout le temps en train de geindre, de gémir. Ils ne s’expriment pas en mots et j’avais trouvé ça intéressant. Ça changeait le motif. Pour répondre à ta question, j’espère encore qu’on me surprenne avec le théâtre.

A: Du coup performance ?

M: Plutôt performance parce que j’ai l’impression que c’est l’enfant illégitime du théâtre. Il est là pour fiche des baffes au théâtre. Mais, je suis plus opéra que théâtre, en fait. Il y a un lâché prise dans l’opéra qu’il y a moins dans le théâtre.

A: Qui dit théâtre ou performance dit narration aussi, non ?

M: Tableau vivant. J’aime bien le tableau vivant.

A: Pas la narration ?

M: J’ai toujours été partagée entre fixer une narration rigide ou donner des consignes et laisser les performeurs apprivoiser la narration. Mais je suis encore en recherche, sachant que je ne peux pas donner de consignes à mes sculptures. Là, j’ai envie de faire des objets articulés que je peux faire bouger comme j’ai envie. C’est un peu un compromis entre la performance et l’objet mort.

A: Mais ce serait pas de la marionnette ?

M: Non ! Ça, c’est comme le théâtre. Tout est dans le choix des mots. (Rires) Je préfère poupée que marionnette par exemple. Une des grandes inspirations que j’ai eue, c’est les poupées de Hans Bellmer. Il a toujours réussi à créer des objets indépendants. Quand on voit un fil, on voit tout de suite la personne qui est derrière, alors que la poupée de Hans Bellmer, c’est comme un stop-motion très très lent. C’était vraiment un objet vivant. Beaucoup plus vivant que n’importe quelle marionnette. Il y a eu une très belle expo au Musée Bourdelle, qui s’appelait Mannequin d’artiste. J’ai découvert que la poupée est un personnage récurent qui hante l’atelier d’artiste. Il y a un truc pervers. Avoir un modèle qui est complètement à ta merci, qui est pas vivant, mais qui est capable de remplir toutes les fonctions qu’on attend d’un modèle.

A: En l’occurrence pour Hans Bellmer, c’est pour les photos.

M: Et pour ses fantasmes. Je pense qu’il y a aussi chez moi un processus amoureux où je tombe amoureuse des gens, je tombe amoureuse de leurs formes ou je tombe amoureuse de leurs personnalités. Et il faut que je fixe ça avec des choses.

A: Est-ce que c’est aussi un moyen de fixer affectivement quelque chose ?

M: Oui, de fixer un peu des fantômes affectifs dans le dur. Et puis comme ça, après, je peux passer à autre chose. Obsession après obsession.

A: Donc à la fin le but, c’est pas tellement de raconter des histoires que de canaliser des fantômes.

M: De canaliser une énergie ou des frustrations, que sais-je ? (Rires) Oui oui, en fait, il n’y a pas tant de réflexions avant la création. Ça me fait juste plaisir. Il y a quelque chose d’intuitif, c’est vraiment de l’ordre du réflexe. J’ai envie de faire ça, j’ai envie de cette forme, j’ai envie qu’elle existe avec des moyens particuliers. Et ensuite, seulement, je me retourne, je regarde ce que j’ai fait et là, je peux éventuellement comprendre comment j’ai envie d’en parler ou comment j’ai envie de le mettre en relation parce que j’arrive toujours pas à en parler. En fait, j’ai l’impression que c’est jamais fini.

A: Il y a une affiche qui m’a interpellé dans ton atelier. J’ai cru que c’était l’affiche d’un anime manga et en fait, tu m’as dit que c’était un groupe de métal.

M: Oui, c’est un groupe de métal français qui s’appelle Rise of the north star. Et ils ont vraiment décidé de vivre comme dans un Shonen. Ils représentent l’énergie furieuse des personnages principaux dans les Shonens. Et c’est assez plaisant à regarder sur scène. Ils ont des super décors, des manières de prendre la pose. Ils ont toute la panoplie du personnage Furyo.

A: Je connais pas ça.

M: Le Furyo, c’est le collégien un peu racaille japonais, avec le col blanc, le pantalon super large. Et c’est vraiment un code très particulier du manga pour jeune garçon. Cette espèce de rage adolescente dans un pays pas très permissif comme le japon. Ils ont choisi ce créneau et ils l’illustrent très bien.

A: Toi, c’est quelque chose que tu as remarqué, ce manque de liberté, en étant deux mois au Japon?

M: Je vois ce que tu veux dire. Je pense que dans l’art religieux, comme dans l’art brut, la bd, il y a des motifs qui reviennent. On dit que quand on se lance dans la figuration humaine, on représente principalement le visage et les mains et ça se vérifie. C’est comme s’il y avait une obsession sans fin pour ce qui peut se cacher dans un ciboulot ou derrière des yeux, ce que telle micro-expression veut dire... On n’arrêtera jamais d’avoir envie de comprendre ce qui se cache derrière une posture non plus. Et la représentation humaine, ça a toujours été porteur de grands questionnements pour tout le monde, pour peu qu’on ait envie de savoir comment se comporter avec les autres.

A: La première fois qu’on s’était vus, tu m’avais montré pas mal de dessins. Pour toi, le passage du dessin au volume se fait naturellement ou est-ce que la sculpture s’émancipe du dessin ?

M: Le dessin, c’est pas ce qui me plaît le plus, mais c’est nécessaire pour fixer quelque chose qui est trop volatile. Dessiner, c’est vraiment pas la même temporalité que sculpter. Tu fixes une idée dans l’urgence avec le dessin, qui s’envolerait si tu le faisais pas. Tu peux pas le faire avec la sculpture parce que ça engage d’autres moyens, et ça engage ton corps différemment.

A: Est-ce que la sculpture devient une réalisation du dessin ou est-ce qu’il y a une différence ?

M: Je crois que mes croquis sont assez précis, parce que je cherche une précision dans un micro-geste ou une micro-attitude. Si je la fixe pas rapidement avec le dessin, je serai pas capable de la retrouver en sculptant. Je m’oblige à être très précise sur un trait en particulier qui va être très important dans la sculpture et tout le reste du dessin va finalement être moins important.

A: Je te pose cette question parce que certaines personnes n’aiment pas partir d’un dessin.

M: Je vois. En fait, il faut fixer un SWAG avec le dessin, et ensuite t’essaies de le retrouver dans la sculpture. Aussi, dans la sculpture, tu te poses vite des questions techniques : comment faire un truc droit, alors que si t’as fait le dessin de travers, c’est beaucoup plus intéressant de garder cette contrainte que tu t’es imposé sans faire exprès. Il y a un jeu entre le spontané et la reproduction dans le dessin et la sculpture.

A: Une petite dernière. Comment tu te places par rapport à cette expo avec ce principe de scène qu’on a mis en place ? C’est très théâtral : une assise, une scène et un fond.

M: Ça va être une expo où on va se faire rencontrer les différents objets et moi, c’est ce que j’aime faire. Je vais faire rencontrer de nouveaux gens à mes gens. Ça me plaît. C’est comme s’il y avait de nouveaux personnages pour prendre le thé à la dînette. Donc allons-y gaiement.

A: Voilà. Des petits copains, des petites copines en plus.


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