LOUISE HALLOU
D’une sensibilité « à fleur de peau », Louise cultive un art proche du sol. Sérieusement poétique, c’est un théâtre du dérisoire, non, de la poussière, qu’elle installe à travers ses paysages, une poussière qui s’accumule, qui révèle quelques traces d’une activité inconnue, mais qui à l’occasion fait éclore... une fleur de peau ?


Travaille à Paris



Season © Louise Hallou

Arslane : Ton travail croise beaucoup de catégories. Il y a de la sculpture, de l’installation, de la photo, de la vidéo, du théâtre, parfois, et tu m’as parlé de son aussi. Tu as une pratique assez dense, mais j’ai l’impression que la performance y tient un rôle particulièrement important. Est-ce que tu pourrais raconter comment tu y es venue ? Et comment tu envisages cette pratique multimédia ?

Louise Hallou : La performance prend plus d’importance depuis que je suis sortie de l’école. Quand j’étais à Duperré (1) avant les Arts Décoratifs, je commençais déjà à faire des installations qui étaient toujours à performer. Je ne les pensais jamais sans un rapport au corps. J’avais vraiment envie de chercher un rapport narratif en faisant du bruit, en mettant en espace les éléments autour de moi. Pour que le corps soit le vecteur d’un agencement.

A: Il y avait une vidéo dans ton diplôme, qui est une captation de performance.

L: Oui, c’est ça. J’aime travailler la captation et que le rapport au corps ne soit pas forcément central. Que ce qui se joue autour soit aussi important que la performance corporelle en elle-même.

A: Quand tu parles de ce qui est autour, tu parles de quoi ?

L: Je cherche un rapport environnemental dans l’installation et la performance. J’ai envie d’un regard porté vers l’extérieur, vers la nature, vers l’autre, vers d’autres présences : animaux, insectes, des fous… Quand j’ai fait la pièce de théâtre à Nantes (2), par exemple, ce qui m’intéressait, c’était ce que provoque l’action autour d’elle et ce que ces événements racontent. Je déplaçais un arbre de façon très lente et la présence sur scène se manifestait par des grincements, des craquements de branches et une avancée presque imperceptible, alors que d’autres actions se déroulaient autour.

A: Quand j’ai su que tu participais à la mise en scène d’une pièce de théâtre (et aussi en tant qu’actrice), j’étais pas étonné. Je me demandais quel souvenir tu en gardais ?

L: J’ai trop adoré interpréter. Même après ça, j’ai joué dans le film d’Alice (3). Bizarrement, je me retrouve dans un état de lucidité assez extrême pendant les performances, plus que d’habitude. Je crois que c’est un rapport à la perception qui devient plus aiguisée et tout est consacré sur le moment uniquement à ma perception et au jeu aussi. Il y a quelque chose de la malice dans le jeu et de l’expression animale qui m’intéresse. Je me sens plus libre même dans mon identité.

A: Plus libre par rapport à quoi ?

L: Par rapport à tout ! À La vie ! (Rires)

A: C’est étonnant parce que tu me parlais de frustration par rapport au fait que le public soit centré sur ta personne plutôt que sur le décor et en même temps, c’est un truc que tu adores.

L: C’est vrai. C’est un moment jubilatoire, mais après, en terme de satisfaction plastique, j’ai la satisfaction de me sentir détachée au bout d’un moment et être moi-même observatrice de ce que j’ai fait. Que ça devienne un objet final qui enveloppe les autres dans un univers. Ce que j’aime dans les autres domaines (la vidéo et l’installation…), c’est que le temps est étiré sans limite. Et même les vidéos de performance que j’ai faites sont vouées à défiler sans début ni fin. Le côté momentané de la pièce de théâtre, avec un début, une fin et une frontalité de la scène me pose question. Je suis attirée par des formats expérimentaux, avec par exemple une scène au centre du public ou dans un environnement complètement autre que le théâtre.

A: Qu’est-ce qui te dérange dans cet aspect spectaculaire et frontal du théâtre ?

L: Hmm. J’aime bien quand les choses se détissent et qu’elles laissent de l’espace. Qui étire le temps. Qu’on respire. En même temps, j’utilise tout le registre du théâtre. Dans mes installations, dans mes vidéos, j’utilise tout le côté scénographie, l’artefact, les lumières.

A: Il y a dans ton travail des tensions entre chaud et froid. Je pense à tes agencements strass et paillettes à côté de la saleté et du rebut ; le calme, le sommeil et le rêve en même temps le désordre et le chaos apparent et puis ta dernière performance collective s’appelle La fureur de l’enfer… ? Ou…

L: (rires) La mélancolie furieuse.

A: Voilà, j’ai oublié un mot, mais il y a le même genre de registre qui mélange chaud/froid. Je sais pas si c’est quelque chose de conscient.

L: J’essaie souvent d’emmener les formes ou les matières vers un autre sens, voir opposé parce que … Comment dire ? C’est dur ! J’essaie souvent de chercher dans les opposés pour raconter quelque chose à partir de rencontres plus spontanées, ou intuitives. Au départ, j’étais vraiment plus dans le registre du rebut et de la poussière et petit à petit, j’ai chargé cette esthétique-là d’un vocabulaire souvent associé au cinéma ou au spectacle. Pour aller vers la narration. Je pense que ça m’intéresse de rester entre quelque chose qui est environnemental et fictionnel.

A: Quand je regardais tes mises en scènes, je trouvais qu’il y avait quelque chose de fantomatique. En m’y projetant, je traîne dans des décombres au milieu de nulle part, comme si quelque chose s’était passé. Parfois, ce personnage, c’est toi qui l’incarnes. Comme un fantôme, tu te déplaces aléatoirement, dans une sorte de danse mélancolique. J’avais pensé à la métaphore du terrain vague par rapport à ce que tu fais. Est-ce que tu pourrais parler de ton attirance pour ce genre de mise en scène ?

L : Hmmm… J’aime que les environnements donnent un sentiment d’étendue et que les choses aient l’air à la fois de se faire et de se défaire au même moment. C’est ça qui est dans cette temporalité-là : quelque chose vient de se passer et en même temps quelque chose arrive. Quelque chose en germe. Je pense que les présences que je cherche, j’ai pas envie qu’elles soient le centre de l’attention. C’est plus les événements qu’ils génèrent autour qui m’intéressent. J’aime bien ces présences animales et en même temps, j’aime les présences anonymes. Je pense qu’elles viennent un peu des mangas.

A: Ça ne se voit pas trop dans ton travail, même si j’ai l’impression qu’il y a un truc indirect. J’arrive pas trop à voir où.

L: Il y a un truc avec le personnage encapuchonné, il a la tête baissée, on sait pas ce qu’il fait. On sait pas si c’est un ancêtre ou un adolescent.

A: Je pensais à l’adolescent aussi.

L: Oui c’est une figure importante pour mon travail. Même les chambres d’adolescents m’intéressent.

A: J’ai vu ça à travers le paysage. Quelle est la place du paysage ? C’est une question bateau, mais je vais essayer de me rattraper. La terre et les paysages côtoient la musique de Sonic Youth et les projecteurs comme dans une chambre d’ado. Tout à l’heure, je te disais que ton travail est dense parce que les choses se retrouvent dans plusieurs endroits en même temps. Une chambre donne sur un terrain vague. Il y a un état de confusion assez adolescent, de retenue et de décharge d’émotion, que tu entretiens.

L: Une de mes pièces s’appelle A.D.O. Je pense que c’est dû à l’échelle du corps et j’aime autant que les choses se fassent autour de moi pendant l’installation, même si c’est pas des espaces performés. Tout se fait de manière intuitive un peu comme si j’étais dans une chambre. Et d’ailleurs, tout se crée au moment où je suis dans l’espace d’expo. Souvent, quand je me lève le matin dans ma chambre, je regarde le sol depuis ma mezzanine et il y a quelque chose du désordre qui devient constellation ou paysage. Les choses prennent place dans l’espace de manière naturelle qui se retrouve dans le paysage ou dans le cosmos. J’aime bien que tout soit en suspens dans l’espace de la chambre.

A: Donc à la fin le but, c’est pas tellement de raconter des histoires que de canaliser des fantômes.

M: De canaliser une énergie ou des frustrations, que sais-je ? (Rires) Oui oui, en fait, il n’y a pas tant de réflexions avant la création. Ça me fait juste plaisir. Il y a quelque chose d’intuitif, c’est vraiment de l’ordre du réflexe. J’ai envie de faire ça, j’ai envie de cette forme, j’ai envie qu’elle existe avec des moyens particuliers. Et ensuite, seulement, je me retourne, je regarde ce que j’ai fait et là, je peux éventuellement comprendre comment j’ai envie d’en parler ou comment j’ai envie de le mettre en relation parce que j’arrive toujours pas à en parler. En fait, j’ai l’impression que c’est jamais fini.

A: Ça entretient l’imaginaire.

L: Le moment adolescent où t’écoutes Sonic Youth seul dans ta chambre et que tu as juste une vision sur l’arbre qui est en face, ça entretient un état de contemplation au même endroit où il peut y avoir une force plus colérique. (Rires) C’est un espace important.

A: Tu dessines ?

L: (Rires). Ça rame !

A: Vous préparez un numéro de Soum Soum (4) ?

L: Oui, un numéro 4. J’adore dessiner, mais ce n’est pas une pratique quotidienne. J’adore dessiner au moment où je sens la vibe parce que je peux insuffler un mouvement, une présence. Ça devient autant performatif que ce que je fais en installation ou en performance. T’insuffles quelque chose. Si j’ai rien à insuffler, ça ne prend pas. Comme quand on danse, qu’on arrive à attraper le rythme et que ça nous porte vers un état plus libéré.

A: Tu sais ce que tu vas faire pour l’exposition ?

L: J’avais déjà un projet avant le confinement et j’essaie de le reprendre. Ça peut être autant une vidéo, qu’une installation, qu’une performance qui s’inscrit dans l’installation ou juste une performance. J’aimerais bien faire quelque chose d’environnemental et à performer. Je voulais appeler ça "En chienne errante".

A: Ouuhh… ça balance pas mal !

L: (Rires) Je suis passionnée par les chiens en ce moment, par les rapports amicaux qu’on peut avoir avec eux et l’attitude du chien de manière générale. Être constamment en train de renifler et passer à autre chose, puis parcourir des espaces. Il y a quelque chose en termes de corps et d’énergie que j’aimerais bien rechercher. Un truc un peu Neandertal, semi-spontané, maladroit que j’aimerais bien trouver dans le corps. En terme de geste et d’espace, je vois ce que ça donne. Ce serait toujours avec des matériaux assez précaires pour reconstituer un espace à moitié abstrait, mais proche de choses qu’on peut connaître. L’espace de la chambre, la cabane de jardin et ce genre d’esthétique que j’aime bien.

1. Duperée est une école publique qui forme de jeunes créateurs dans les secteurs de la mode, de la création textile, de la céramique, du design d’environnement et du design graphique.
2. Solo Semi Intégral, une performance du collectif V.T.T (Louise Hallou, Jerôme Bellefleur, Flore Gervais, Jack Vincent, Lola Lourdes, Balthazar Heisch) basée sur le roman inachevé Le Mont Analogue de René Daumal. Représenté au TU.Nantes en avril 2019
3. Alice Brygo, Les îles périphériques, 2019
4. Fanzine de dessin créé en collaboration avec Ji-Min Park et Fredj Moussa (artistes présents sur l’acte +1)

Seasons © Louise Hallou, 2021 - Performance jouée à Bouphonie, le 28.01.2021
photo © Victor Calsou


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