LAUREN COULLARD
Les chevaliers de la Table ronde adorent les peintures de Lauren. C’est un fait ! Ses peintures parlent si bien de la vie du bas moyen âge qu’on dit même que le roi Arthur l’aurait invité dans son royaume pour une exposition publique – du jamais vu ! Il dit particulièrement aimer le trait rapide et sinueux de Lauren qui lui rappelle un peu la bande dessinée de son enfance. Mais par-dessus tout, il aime les thèmes populaires qu’elle dissimule dans ses tableaux, comme Saint-Georges qui défonce le dragon (un ami) ou les peintures qu’elle réalise sur ses paquets de céréales préférées.


Travaille au Pré-Saint-Gervais



Released by Camelot, 195x130cm, acrylique sur toile, 2018 © Lauren Coullard

Arslane : La première fois que je suis venu à Doc! (1) pour te voir, tu m’avais montré un cahier de collages, avec des assemblages d’images, notamment médiévales. Et je me demandais si tu avais toujours ces cahiers depuis que tu avais changé d’atelier ?

Lauren : Je voulais en faire un nouveau lors de mon arrivée et finalement je ne supporte plus ces images. J’en ai jeté une bonne partie, mais j’ai encore un tiroir rempli. Auparavant, je collectais ces documents afin de créer des sortes de « patrons » pour les futures toiles. Certains papiers sont minuscules, d’autres transparents ou abîmés. Il y a beaucoup de motifs, de calibrages de photocopies sur papiers couleurs. Je cherche des contrastes avec des contours marqués.

A: C’est quoi ces cahiers ? Les sources de tes images ? Cela se rapporte toujours à des images médiévales ?

L: Ces cahiers sont un moyen d’archivage. Surtout pour ordonner les collages entre eux et condamner certaines images que j'ai besoin de conserver mais qui n'ont pas trouvé leur place dans mes collages. Parfois, je déchire une page pour la peindre. Les images médiévales, proviennent principalement de l’histoire de la chevalerie et du costume. Les autres sont empruntées à la peinture classique, aux films des années 70, d’autres viennent de catalogues de vente.

A: Je pensais à ton cahier en voyant les photos de ton expo récente à Berlin : "Angels on a Needle". Il y avait des images en papier calées entre le mur et les tableaux, comme un billet dans une édition. C’est peut-être simplement tes sources que tu as réutilisées de manière brute, mais j’imaginais que ces images provenaient de ce cahier.

L: Ce sont les collages préparatoires que j’utilise pour mes peintures, sorte d’amulettes avec des visages suturés ou défoncés, le cahier c’est autre chose. Je collecte ces repros afin de créer des « patrons » pour les futures toiles. La peinture active ces personnages. Elle les met en mouvement. J’ai voulu que ce soit collé quelque part pour pas que ça ressorte ailleurs.

A: . Ça fonctionne comment toutes ces images ? Tu as une base ?

L: Je les mets en page sur des sortes de A4. Je les retravaille un peu, puis je les garde souvent en noir et blanc dans un dossier que je peux imprimer après. (Elle me montre un exemple des éditions Midi/Minuit.) Je me suis aussi calmée sur les collages. J’en ai marre d’en être dépendante pour peindre.

A: Jusqu’à présent tu utilisais ces images pour peindre. Dans toute ta collection, y en a t-il certaines que tu emploies plus ?

L: Oui. Il y a certains collages que je peins tout le temps. (Elle me montre en exemple des collages.) J’ai une collection de 3-4 collages, Ils.elles sont dans toutes les peintures. Il y a des personnages de théâtre à la Arlequin qui reviennent avec des formes récurrentes. D’autres de la littérature ou du cinéma comme Dracula, par exemple. Je continue de les utiliser, mais maintenant, je peux quasiment les dessiner de mémoire.

A: C’est un peu tes acteurs, en fait.

L: Plutôt des comédien.es, il y a une répétition dans les postures. À la différence de l'acteur de film, le comédien de théâtre rejoue chaque soir la même scène, mais elle reste différente au regard de chaque représentation. (Et puis elle me montre de nouvelles peintures. On s’arrête sur l’une d’elle en particulier. Un portrait.)  

A: Est-ce qu’il y a des personnages que tu m’as montrés que tu as utilisé pour cette peinture ?

L: Hmm. J’aime bien quand les choses se détissent et qu’elles laissent de l’espace. Qui étire le temps. Qu’on respire. En même temps, j’utilise tout le registre du théâtre. Dans mes installations, dans mes vidéos, j’utilise tout le côté scénographie, l’artefact, les lumières.

A: Est-ce qu’il y a des personnages que tu m’as montrés que tu as utilisé pour cette peinture ?

L: C’est une peinture de 2016, le collage vient d'une autre série. C'est une époque où je mettais quelques traits et trois coups de peinture. Je n’ai plus envie que ce genre de peinture sorte. J’aime bien quand il y a plus d’études pour oublier le collage de départ. Je recherche aussi un craquage en couleur. Aujourd'hui j'ai plutôt tendance à superposer les collages au fur et à mesure de la peinture. 

A: Dans mon esprit, tu avais un intérêt particulier pour le moyen-âge, les dragons, les princesses. J’étais un peu figé sur cette idée à cause des premières peintures que j’ai vu de toi (une figure féminine avec un dragon) et je me demandais, par rapport à notre culture, la culture pop notamment : est-ce qu’il y a un lien avec l’attrait qu’on a dans cette culture pour les dragons.

L: Tu veux dire : est-ce que je me déguise en princesse ?

A: Mais non, pas du tout…

L: Hmmm… ça vient des images de tapisserie. Il y a des contours très marqués, dynamiques. Ce sont souvent des livres déjà abimés et qu’on peut défoncer. Le dragon, il est séduisant, spirituel ou magique. Il est aussi assez dramatique, voire violent, comme je peux l’être quand je peins. Entre le végétal, l’organique ou le fantastique, c’est un excellent prétexte formel avec son enveloppe infinie qui s’enroule sur elle-même et qui appelle au mouvement.

A: Il y a quand même un choix, parce que des livres avec des images, tu peux en trouver sur tous les sujets, non ?  

L: C’est plus les costumes, parce qu’il y a tout un apparat avec des finitions qui me plaisent beaucoup, des tombés de vêtement… Ça y est ! J’ai trouvé d’où ça vient. Ça vient de l’Histoire du costume (2). Ce livre regroupe tous les détails, des chaussures aux chapeaux, de la construction de ces vêtements. Pour fabriquer mes collages, j’allais chercher des pièces particulières, des hauts de chemisiers hyper détaillés. En ce moment, je traîne plutôt dans l’obscurité autour de la SF avec des corps hybrides, des créatures qui incarnent pour la plupart un sentiment de révolte.

A: Il y a un lien. Toutes ces images du moyen-âge ont aussi inspiré le fantastique et tout ce qui est grotesque.

L: Il y a un décalage, comme tu disais, un peu pop.   (On regarde à nouveau les collages.)

A: Tu as plusieurs manières déjà en place dans ton travail avec des peintures plus détaillées dans les petits formats, plus proches de l’image, et des grandes compositions qui sont très abstraites, mais il y a toujours un entre-deux. J’ai l’impression qu’il y a une sorte de point de bascule entre les petits et les grands formats. Plus ça va vers l’abstraction, plus l’image tend à s’évaporer. Le trait reste, mais la couleur s’en détache. Il y a quelque chose de plus calligraphique… Comment tu vois ça ?

L: Ce ne sont pas les mêmes prises de risque. La grande toile, de loin, tu touches les volumes. Elle danse avec toi. Les petites peintures sont domestiques, c’est plutôt de l’intime, je contiens mes gestes. Elles sont comme des peintures de chambre. À terme, j’aimerais que chacune soit conçue comme un coffret. Les grands formats demandent de l’espace, du corps libre. C’est la couleur qui prend le dessus. C’est beaucoup plus organique, profond. Il y a une sorte de chorégraphie de tons et de formes.

A: Je voyais plutôt un rapport de perturbation entre tes images, tes collages et tes peintures. C’est pour ça que je parlais de ton cahier, de l’image scannée. Il y a une transformation avec les collages, puis, dans les petites peintures, il y a une certaine fidélité au collage et au fur et à mesure ça va vers une abstraction. C’est une image linéaire. J’imagine que ça ne fonctionne pas tout à fait comme ça ?

L: Ces mini formats sur bois sont contraints voire forcés. Je suis maintenue par le format de l'œuvre au moment où je peins. Je suis assise, la peinture est sur une table, et mes gestes restent très contrôlés. Pour moi, c’est une autre pratique d'atelier. Sur mes œuvres sur toile, mes mouvements et ma manière de traiter la couleur sont beaucoup plus aléatoires, violents et je cherche la perte de contrôle. Sur le bois, au contraire, je cherche à maintenir ou contenir les personnages comme la matière.

A: Raconter une histoire, comme tu le fais sur tes petites peintures, c’est pas libre.

L: Ces petites peintures, ce n’est pas l’histoire de la peinture. Plutôt de la mise en scène. C’est peut-être pour ça que j’ai envie de sortir de la figure ou du portrait et retrouver une certaine liberté.

A: Et tu penses pas que tu seras triste de perdre quelque chose si tu fais que de l’abstrait ?

L: Si ! Je vais perdre tous mes potes… Mais ils vont revenir. C’est mes petits solo games. Je trouve ça important de pouvoir jouer. De pas être trop en confiance avec le travail. D’accepter l’erreur et de la provoquer, c’est ça aussi mon quotidien à l’atelier. Des combinaisons de corps amoureux et de chimères.

A: Est-ce que t’as des règles du jeu que tu t’imposes ?

L: En ce moment, pas du tout, mais normalement, oui. Des sortes de protocoles où je dois faire certaines choses en premier.

A: Tu viens tous les jours pour travailler ?

L: Oui. En ce moment, pas trop le matin. Parfois je viens, je fais rien. Je déplace les peintures. J’aime bien avoir plein de peintures qui se font en même temps.

A: (rires) Il y a une vraie vie d’atelier. J’ai bien fait mes devoirs. Je t’ai écouté à la radio.

L: Sur France Culture ?

A: Sur France Culture, oui. Et tu parlais à un moment de mise en scène et d’autobiographie. Il n’en fallait pas plus pour m’intriguer. Quand je regarde ces personnages, je me demande s’ils racontent quelque chose ou pas.

L: Tous les artistes, on travaille sur nous, quand même. Parce qu’on est tous un peu…

A: Mégalo?

L: (rires) Plus ou moins. Je pense pas que ça soit autobiographique. C’est plus les gens autour de moi que je peux peindre, leur trouver des extensions virtuelles. Souvent des histoires d’amour, évidemment. Il y a beaucoup de garçons dans mes peintures (rires).

A: Mais il y a aussi beaucoup de femmes.

L: Il y a un mix, des superpositions, des corps mutants. Mais il y a des périodes. Après, ça a pas mal changé depuis France Culture, ma peinture.

A: Qu’est-ce qui a changé, tu dirais ?

L: Aujourd’hui, il s’agit plutôt de rendre le corps féminin puissant. Peut-être que c’est comme ça que ça a changé. C’est un bon moyen de pouvoir terminer une peinture en tout cas. Après, tous les chevaux, c’est évidemment autobiographique. J’ai grandi dans un centre équestre.

A: Ah ben voilà. Et des petits dragons !

L: Mais le dragon, c’est tellement facile de jouer avec, de se l’approprier.

A: C’est un peu comme un tag.

L: Oui! Tu peux l’étendre, il est représenté dans plein de civilisations différentes, même de manière pop, religieuse, gothique. Dans les tapisseries, il est magnifique. Surtout, il est libre.

A: Et la pièce qu’on va exposer, elle s’appelle comment ?

L: "The Exploited Spirit". Un dyptique, avec "Released by Camelot".. Mais les titres ne sont jamais directement liés à l’œuvre. Ça peut venir du collage que j’ai utilisé. Ça vient toujours d’un lien extérieur. Et souvent, je trouve le titre et après, je regarde sur google images pour voir si les images me conviennent par rapport à ce que pourrait raconter la peinture, comme si ça apportait un second sens au sujet.

A: Tu le tapes sur google images.

L: Et parfois il y a un super truc qui sort. Enfin, souvent.

1. Doc! est une association qui occupe le 26 rue du Docteur Potain depuis mars 2015. C’est un espace pluridisciplinaire regroupant technicien.ne.s, artistes plasticien.ne.s, artistes de la scène et des auteur.e.s de l’audiovisuel et du cinéma. leur site'
2. Histoire du costume en occident de l'antiquité à nos jours, François Boucher, édition Flammarion, 1965

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