BRIEUC MAIRE
Ce qui est bête, inintéressant et gênant, comme lorsqu’on est dans l’ascenseur avec une personne du sexe opposé et qu’on ne dit rien en souriant plaît beaucoup à Brieuc. Mais il y a beaucoup d’autres exemples à donner en lien avec le moyen-âge, Giotto, Jésus sur son comportement de croix ou pas et le papier mâché. En outre, Brieuc est quelqu’un de souriant. Alors, on rigole, on sourit, et on se laisse faire ! C’EST CLAIR ?!

Travaillent à Paris


© Brieuc Maire, 2016

Arslane: D’abord, j’aimerais savoir comment tu en es venu à faire ?

Brieuc: J’ai pas suivi des études qui me menaient directement à l’art. À la sortie du BAC, j’ai fait un BTS d’orthoprothèse, puis je me suis réorienté. C’était très intéressant, ça m’a apporté plein de trucs en tant que plasticien.

A: Par quoi as-tu commencé artistiquement ? Est-ce que tu t’es lancé dans le dessin, la peinture, dans la sculpture ?

B: À la base, moi, c’était l’illustration et la bande dessinée. La sculpture et la peinture, j’y pensais pas trop. Et c’est qu’assez récemment que j’ai commencé à travailler la sculpture. Dans l’ordre, il y a eu la bande dessinée et l’illustration et après, je suis venu assez naturellement à la peinture, mais ça restait dans l’image. Et puis aux beaux-arts, ça a dérivé petit à petit vers la sculpture parce que je suis arrivé dans un atelier de sculpture. Donc, c’était un peu un hasard.

A: Je me souviens quand je t’ai rencontré pour la première fois, ta pratique de la sculpture avait l’air d’avoir plus d’importance que la peinture. Aujourd’hui, j’ai l’impression que ça s’inverse. Est-ce que tu peux me parler de ce passage ?

B: (On s’est rencontré l’année de mon diplôme en 3e année aux beaux-arts.) En fait, je me suis rendu compte que, certes, il y avait plus de volume dans mon travail, mais que ce qui m’intéressait, ça restait l’image. Donc, ça me semblait naturel de revenir à ce qui m’animait à la base. Quand je fais une sculpture, ça passe par un dessin, une idée, enfin, c’est déjà une image. Il y a des gens qui vont travailler la sculpture comme un assemblage. Moi, je travaille ça comme une image, mais ça tend à changer. Le diplôme de 5e année, c’était un peu pour confirmer ça. La sculpture servait de mise en situation pour apprécier les peintures. Le vrai sujet, c’était les peintures, alors que la limite était plus trouble en 3e année.

A: C’est bien que tu parles d’exposition parce que c’est la question que j’allais te poser. J’ai l’impression que c’est le fait d’exposer qui motive la fabrication des sculptures et que la peinture, c’est pour la pratique du quotidien. Est-ce que tu as réfléchi à cette pratique théâtrale de la sculpture ?

B: Effectivement, c’est présent dans mon travail, en tout cas, j’espère que ça se voit. Alors, comment l’expliquer ? Durant mon enfance, je ne suis pas allé de façon très régulière dans les musées. C’était des moments assez ponctuels et, aujourd’hui, les musées m’intriguent beaucoup. Cette façon de rassembler des œuvres et d’en faire une sorte d’événement sacré… Enfin, il y a quelque chose d’un peu étrange là-dedans. Après, étant donné que je travaille sur les rapports sociaux, ce rapport à la mise en scène est venu assez naturellement. C’est aussi ce qui m’intéresse en peinture, la théâtralité.

A: Comme on a parlé de théâtralité, on peut parler de tes sujets ? Qui sont des non-sujets, en quelque sorte.

B: Exactement. Ça m’embête beaucoup le sujet.

A: Tu m’as dit un jour que tu aimais bien les photos où on voit un type qui devrait pas être là, mais qui est là et qui impose une forte présence, presque plus forte que s’il devait bien être là. Une présence malgré lui.

B: Oui, c’est ça. Au même titre que les mal-entendus dans les discussions, tu vois ? D’un coup, ça dérive, on parlait pas du même sujet, en fait. On s’en était pas rendu compte. Ben ça, ça m’intéresse. Je sais pas à quel point ça se retrouve dans mon travail, mais aux beaux-arts, j’étais très frustré. J’avais parfois du mal à avancer à cause de cette question du sujet, parce que je sais foncièrement pas de quoi je parle et je n’ai pas envie de le savoir.

A: C’est pas un problème pour toi ?

B: Non. C’est ce qui fera peut-être que jamais personne n’y trouvera un intérêt, mais mon intérêt est là-dedans.

A: (rires)
A et B : Un petit coup de fausse modestie.

B: C’est toujours bien d’en placer un peu. Il y a une personne qui doit écrire mon texte de diplôme. Je t’ai envoyé ce que je lui ai répondu. C’est très factuel, c’est des choses assez simples. Mais elle me demandait d’expliquer ce que ça représentait. D’expliquer… J’avais l’impression qu’il fallait que je noue tout ça autour d’un sujet. Et en fait, j’ai pas envie de faire ça. Et puis tu parles de non-sujet, mais c’est exactement le sujet de mon mémoire. Le small talk, c’est ça.

A: C’est quoi le small talk?

B: Le small talk, c’est cette discussion qui n’en est pas vraiment une. C’est plus un acte de confirmation que tu vas produire vers l’autre pour dire : « Coucou, je suis là ! Je te reconnais. » Et je trouve ça intéressant. C’est presque animal. Il y a quelque chose d’assez primitif. Tu passes par des mots, mais le sens du mot n’est plus l’essentiel. L’essentiel, c’est de parler. Si c’était acté qu’on puisse faire : « dayatha tha tah ! » on le ferait. On irait à la machine à café et on ferait : « Ah ! Zah zah ? » Et l’autre ferait : « Ah, zah zah. » Ce serait pareil, en fait.

A: Ou on se reniflerait tout simplement.

B: Ou on se reniflerait. Ce qui ne serait pas pour me déplaire.

A: Ça dépend de la personne, peut-être.

B: Oui, tu me connais, je demanderais l’autorisation.

A: Dans tout ça, la théâtralité, c’est un mot qui cache finalement beaucoup de choses. Bon, on sait ce que c’est le théâtre : c’est des gens qui jouent la comédie. Voilà. Mais vu que c’est aussi un de ces grands sujets qui ont beaucoup été traités, on sait plus trop quoi en dire à part un truc péremptoire du genre : « C’est la condition humaine ! » Avec une voix grave et qui achève toute discussion. Alors que j’ai l’impression que ce qui se passe est très sensible. La théâtralité, c’est peut-être aussi le rapport au public. Le fait que tu fasses attention à ce que le public ait une expérience particulière lorsqu’il entre dans l’espace d’exposition et que tu as aussi envie de jouer avec lui. En tout cas, tu te soucies de son regard. Et le regard de l’autre, dans toute cette histoire, ça motive beaucoup de choses.

B: (Rires) Oui, carrément. La théâtralité, ça fait bien de le dire et puis effectivement, il y a de ça. Je suis pas tellement un public de théâtre, mais il y a des intuitions que j’y trouve qui m’intéressent beaucoup. Ça va être un gros mot un peu pompeux : la distanciation. Ça, ça m’intéresse, parce que c’est une façon d’assumer. Celui qui a théorisé ça, c’est Brecht. En gros, le comédien ne devait pas entrer totalement dans la peau de son personnage. Le comédien, c’est un comédien qui récite un texte. Et ça, il faut qu’il l’ait constamment en tête pour que le texte soit encore plus frappant et que ça crée un trouble chez le spectateur. J’aimerais bien réussir à développer ça que ce soit dans la peinture ou dans la sculpture, enfin dans l’exposition en général.

A: Tu parlais de l’exposition. Il y a des gens qui essaient de faire des expositions immersives, d’autres qui tentent de casser les habitudes d’exposition. Toi ce que tu veux faire est-ce que c’est, à l’inverse, de garder toutes les conventions ?

B: Je suis pas tout à fait au clair. Par exemple dans mon diplôme, l’entrée pouvait paraître immersive. Mais, quand tu entrais dans la salle, cette impression s’arrêtait tout de suite. De l’extérieur, le couloir donnait cette impression d’environnement et en fait non. Le parallèle que je fais avec la distanciation, c’est justement ça ! Une fois que tu entres dans la salle d’exposition, tu vois que c’était juste un couloir et tu comprends. En fait, c’est des blocs de mousses assemblés. L’idée, c’était pas de cacher comment ça a été fait, mais plutôt de jouer avec les impressions et les préconçus. C’était une expo assez classique au final.
À l’échelle de l’expo, j’ai encore du mal à parler parce que c’est encore en formation… L’exposition, c’est un jeu d’assemblage de plein de choses différentes, une mise en scène hétérogène. Tout ça m’intéresse, mais c’est compliqué de parler de mise en scène en général. Par contre, en peinture, j’essaie de rendre ça.

A: Comment ?

B : Par ce flou que je fais à l’aérographe; par cet effet de collage. L’idée, c’est de rendre compte du geste de la peinture, mais avec ce trouble qui rend la chose encore plus réel, pour moi.

A: On a l’impression que tes personnages essaient de jouer leurs rôles, que c’est artificiel.

B : Il y a une vraie profondeur dans cet artifice. C’est presque existentiel. Ces personnages, ils devraient pas être là, ils ont des poses qui sont… C’est pas surjoué parce que c’est de la peinture, mais… ça dérange. Il y a un truc qui est mal cadré. Un malaise, une rigidité. Je pense que ça vient de ces réflexions aussi. Qu’est-ce que ça veut dire d’incarner quand t’es un personnage de tableau ? (Rires) Il y a un vrai truc, j’essaie pas de vous enfumer. Comment passer par des mots pour le dire ? Ça m’est compliqué. C’est pas un truc d’artiste. Il y a une intuition à la base. C’est pas une application directe du théâtre dans la peinture. J’essaie de jouer avec les codes de la peinture, les codes de la sculpture pour un peu décaler ça, dit plus simplement.

A: Ça me fait revenir à ce que tu disais à propos des musées, de ces objets qui sont là, réunis dans un espace où on leur fait la révérence. Et tu disais que tu trouvais ça incongrue, voire étrange.

B: Oui, surtout qu’on a travaillé à Beaubourg en surveillance de salle. Je crois que cette absurdité, elle ressort encore plus quand t’y passes du temps et que t’y voies… Quand tu te fais chier là-dedans, quoi. Finalement, ça devient un décor qui est plus propice pour observer les gens que pour observer les œuvres elles-mêmes. Et pourquoi ça, plutôt qu’une autre forme ? Pour moi, ça a toujours été une question. Pourquoi d’un coup ça a été glorifié ? À mon avis, ça vient du fait que je n’ai pas eu une éducation artistique, même si j’ai toujours dessiné, mais ça, c’est complètement autre chose que d’entrer dans le monde de l’art. Et le monde de l’art te renvoie à cette violence : il y a des sélectionnés, il y a des gens qui entrent dans le panthéon et il y a tous les autres, qui restent à la porte.
C’est très drôle au fond. Quand tu fais un petit pas de côté et que tu regardes ces gens se déplacer dans ces salles avec ces postures; ces façons de mettre les mains derrière le dos, de tenir le menton haut, de regarder en plissant les yeux… Moi, je trouve ça génial ! Et je trouve que ce sont ces comportements-là qui sont assez savoureux. Plus que les pièces elles-mêmes que tu finis par banaliser. Ça devient comme ta table, ton frigo…
Ce serait trop drôle des gens qui rentrent dans ton appart comme dans un musée. Il y a des gens qui le font un peu. C’est juste un effet de transposition : ramener ce comportement dans le quotidien ou alors à l’inverse, ramener le quotidien dans le monde de l’art, ça crée toujours un conflit, il y a une friction là-dedans. C’est pas un sujet en soi, mais c’est quelque chose qui me fournit de la matière que je trouve intéressante. Et j’ai remarqué un truc : il y a beaucoup de postures de gens qui sont au musée qu’on retrouve au bord de la plage. Alors, je parle pas de tous ces gens qui sont allongés au bord de la plage, parce que t’as personne qui s’allonge dans un musée, mais il y a beaucoup de gens qui regardent la mer, les bras derrière le dos et qui attendent. Tu sais pas ce qu’ils attendent, mais ils attendent que quelque chose les frappe. Et d’ailleurs dans mes peintures, mes personnages humanoïdes sont souvent faits à partir de personnes sur des photos de bord de mer. Ces moments où tu ramasses un petit caillou, c’est un peu des failles temporelles.

A: Est-ce que c’est pas extensible à tous les paysages ? Un type à la montagne… je ne sais pas.

B: Certainement. Mais dans le bord de mer, ce qui fait le lien avec le musée, c’est la densité de personnes au mètre carré et des comportements assez similaires, en fait. C’est un panel de gens qui marchent comme ça, tu sais, le long de la plage. T’as l’impression qu’ils sont soucieux de quelque chose, alors que non, pas forcément. Je pense que la mer appelle aussi quelque chose… Bah pour le coup, d’assez existentiel. Tu es face à une étendue d’eau, immense; tu n’as qu’un horizon, très plat; t’as pas de relief. Donc, dans l’imaginaire, il y a quelque chose d’intéressant là-dedans.

A: L’infini?

B: C’est l’infini. Ça te laisse face à ta solitude. C’est le néant, en fait ! Alors qu’à la montage, vu que tu voies pas l’horizon peut-être que ça crée d’autres imaginaires…

A: C’est qualitatif. On est sur un France Culture à 23h.

B: Complément! Je m’écoute parler.

A: On va essayer de revenir sur terre. Qu’est-ce que tu prépares pour l’exposition Bouphonie ?

B: Je vais partir de pièces que j’ai déjà faites. Je pensais justement à la scène d’atelier, que j’ai appelé L’atelier. Je vais la retravailler et ce sera sûrement complètement différent de ce que ça a été il y a quelques mois pour mon diplôme. Voilà. Partir des mêmes matériaux et voir ce que je peux faire. Je trouve ça assez excitant. J’ai jamais trop travaillé comme ça, mais là, j’ai envie d’essayer.


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