BORIS RÉGNIER
Roi de son fief, l’art, Boris a aussi régné sur le domaine aujourd’hui fort convoité du Design. D’ailleurs, son art se veut être une heureuse combinaison de ses pratiques artistiques de loisirs et une reconfiguration totalement designée au doigt et à l’oeil. Car il indexe tout lui même. Du plan 3D au visage de clous. C’est une aire de bonheur, tantôt passée, tantôt présente que Boris installe et confectionne dans une forme d’insouciance pleine de franche camaraderie.

Travaille à Douarnenez



2018 © Boris Régnier

Juliette Nier : Il y a 4 ans, à la même période, nous exposions ensemble à Leipzig (1). Tu avais proposé des sculptures/socles fabriqués à l’aide de sangles, et de ces fameuses caisses de bières allemandes. Pour ton diplôme, il y avait des banquettes et des étagères... Aujourd’hui tu montres un banc et une lampe… Qu’est ce que ça raconte ? Ce sont des sculptures ?

Boris Régnier: C’est un peu les deux, elles ont deux usages. Au Beaux Arts, je jouais à être ni de l’Art, ni de design.. À rajouter des fonctions à des sculptures, à en enlever à des objets. À l’arrivée dans « le vrai monde » - (on s’entend sur : celui d’après l’école, celui on doit gagner de l’argent),les pratiques se sont un peu scindés au début, d’un côté les meubles, de l’autre les sculptures. Avec ce processus de fonderie en aluminium, l’idée était de faire quelque chose qui aurait la forme d’un siège : si il était fonctionnel, il deviendrait un meuble, sinon, il deviendrait une sculpture. Donc les deux…

J: Tu crois que l’ère Art versus Design est terminée ?

B: J’ai l’impression qu’au Pays bas ou en Allemagne par exemple, les domaines ont fusionné depuis un moment. J’ai l’impression surtout que c’est très récent d’opposer l’art et le design. C’est peut-être à cause des écoles, des universités, et d’une volonté de sectoriser les choses. Mais les artistes ont toujours fabriqué des objets… Je pense au grand-père de mon ami artiste Gabriel Haberland, Pierre Toulhouat, qui faisait des vitraux et des bijoux. Il avait été formé aux Arts Décos, puis en rentrant à Quimper, il s’est installé dans une usine de céramique : on lui donnait un atelier, et tout ce qu’il avait à faire en échange c’était de peindre sur des céramiques ou bien dessiner des modèles. Ni artiste, ni artisan, ni designer… Comme pleins d’artistes que je rencontre, et de tout âge !

J: Justement, l’artisanat rentre aussi beaucoup en jeu dans ta pratique : la fonte, mais aussi la menuiserie, l’ébénisterie, ou la soudure… Est-ce que les objets que tu produis ne seraient pas un prétexte à la technique ?

B : Un peu… J’ai mon propre système de « triangle gagnant » : l’art, la pensée libre sans contraintes de fonctionnalité; Le design qui m’intéresse pour ses enjeux d’usage, et puis la technique pour la réalisation, la connaissance des matières et matériaux. Elle sert aussi pour des boulots plus « alimentaires ». En fonte, j’ai trouvé un processus qui me plait: dans un bac à sable je trace au doigt des formes, comme celles du banc, puis je coule l’aluminium dans les sillons du sable. J’ai commencé à faire de la fonte en faisant du moule, des petites pièces. Ça a ses limite. J’aime bien travaillé à mon échelle, et je me suis dit, j’ai envie de faire de la fonte, mais il faudrait trouver une autre manière de la faire. Mon ami Maxence Chevreau, avait fait des choses similaires avec des formes tracées dans de l’argile. Ça m’était sorti de la tête, puis ça m’est revenu que c’était un peu grâce à lui: personne n’a rien inventé comme on dit. Mais ce processus m’a plu… Dans la fonte, il faut être pertinent et précis sur beaucoup de points, et puis c’est assez dangereux.. Mais l’associer avec un geste aussi hasardeux et simple que dessiner dans du sable, c’est confusant, c’est bien.

J: C’est une manière de rallier les 3 sommets du triangle gagnant quoi.. Est-ce que tu pense que que la fonte pourrait devenir un processus performatif ?

B: Quand j’ai produit cette pièce, en résidence à 40mcube à Rennes, on était 3 donc on m’a filmé pendant que je coulais… Pendant qu’on faisait la médiation, je passais mon temps à montrer les vidéos aux gens. J’ai même présenté le four, dans l’expo. C’est une dimension vraiment importante, surtout pour un public non averti. C’est quelque chose qui me tracasse beaucoup dans ma pratique : avoir un public large. Pour cette expo, je pensais à faire une pièce en direct, mais les conditions ne l’ont pas permis. On a rencontré Cédric Teisseire, le directeur de la station à Nice qui me parlait d’une jeune artiste qui avait coulé en fonte dans des moules en plâtre qu’il fallait casser pour obtenir les objets.. Pour son expo, elle avait laissé des moules pleins et des marteaux partout, et les visiteurs devaient les casser pour découvrir la pièce coulée.. Les gens aiment voir ça ! J’aime le côté performance, j’en ai fait un peu pendant mon parcours aux beaux arts et c’était souvent lié à des gestes techniques.

J: Par rapport à la médiation, est-ce que ton penchant pour le design n’est pas un moyen de parler à plus de monde ?

B: Complètement ! C’est un moyen de toucher le plus de monde. Même une personne non avertie reconnaîtra une chaise, une table, une lampe… J’aime aussi l’idée du ready-made.. Qu’un objet quelconque devienne un objet artistique par sa présence dans une exposition. Mais j’aime le ready made fait par moi même ! J’aime bien les détourner moi même aussi : les banquettes de mon diplôme par exemple. Ce sont les 2 mêmes, mais l’une est mise à la verticale, comme une tour (entre-autres en référence à « la tour sans fin » de Brancusi), mais si on couche la « tour sans fin », ou n’importe quelle colonne, ça devient une banquette ! J’aime bien ces doubles approches : une première formelle, matérielle, puis l’autre plus conceptuelle, théorique… Ce que j’aime bien dans ces objets là, comme la banc par exemple, c’est que je peux en parler avec des gens loins du monde de l’art. Avec des oncles artisans par exemple, on peut parler longtemps d’une pièce. L’approche conceptuelle les intéressent peu, mais par le terrain de la technique, ils arrivent à accéder à « mes sculptures ». Pareil pour ceux qui s’intéressent à la déco, et qui me disent « ouh, ça me fait penser à un meuble art déco »… C’est un moyen d’engager la conversation avec ce genre d’objets. Mais j’ai besoin de les fabriquer, d’avoir les mains dans le cambouis.

J: On passe du coq à l’âne, mais… Est-ce qu’il y a une « nouvelle école de Quimper » selon toi ? En rencontrant ton entourage à Quimper et Douarnenez, de loin, j’en ai un peu l’impression!

(Rires) La question est souvent posée, surtout avec Douarnenez. Je trouve qu’il y a quand même une patte « Quimper » pour l’école, après il y a une communauté à Douarnenez, mais on peut pas parler d’une école ou d’un mouvement. Ce sont beaucoup d’artistes qui ont un peu saturé soit du monde de l’art, soit de la ville, et qui aiment vivre au bord de la mer quoi.. On se fréquente beaucoup, mais on collabore peu. Bruno Peinado, notre ancien prof, nous dit souvent : c’est une île, un port d’attache, qu’on doit quitter souvent pour mieux y revenir. Aux beaux arts de Quimper, il y a eu une dizaine de promotions au dessus et en dessous de la notre, avec lesquelles il y a eu de vrais échanges. Mais peut-être qu’il ya une nouvelle école de Quimper : mais ça, on le saura vraiment dans plusieurs années !

J : Plus que travailler ensemble, la vie « partagée » doit nourrir vos références et votre manière de travailler. Est-ce que cette notion de collectif te semble importante pour continuer de créer ?

B: Je reviens à cette opposition Art et Design, mais j’ai l’impression que la culture du Studio, de la team est beaucoup plus présente dans le design. Je vois plus en tout cas de collectifs de designer que de collectifs d’artistes. Personnellement j’aime principalement travailler pour moi mais avec les autres. À Quimper, surtout dans notre promo, on est resté très soudés et nombreux, ce qui arrive rarement, mais les collectifs ne se sont pas montés. Il y a beaucoup d’amitiés, d’échanges et de projets communs, mais pas à proprement de collectifs où l’on ne sait pas qui produit quoi. Avec mon ami et artiste Simon Leroux, on a fait des travaux exposés à 2 plusieurs fois, mais c’est minoritaire dans nos pratiques…

J : Et Bellevue, l’artist run-space que tu tiens à Douarnenez avec Thomas God et Guillaume Leclouërec, ce n’est pas un collectif ?

B: Non, on est plutôt une organisation d’artistes : on partage un lieu et on y monte des expos parfois mais on est pas un collectif qui produit des œuvres communes..

J : Par contre, vous jouez souvent aux commissaires d’expos, est-ce que c’est deux pratiques séparées, ou tu crois que c’est aussi le rôle d’un artiste de proposer ses propres expositions? br>

B: Pour moi, c’est un sujet important : à la sortie de l’école, on est quand même bien confronté à la dure réalité de la vie, qui m’ont fait posé pas mal de questions sur le but de ce que je fais. Faire de l’art dans son atelier, ne me satisfait pas complètement.. J’ai besoin de faire du mobilier, d’expérimenter des métiers, et quand je monte des expos, j’ai aussi envie que ça déborde. La première expo que j’ai monté à Douarnenenez après l’école, j’avais fait des meubles, des cocktails.. il y avait des vêtements (faits par Thomas), deux performeurs les portaient et servaient cocktails et des pizzas faites avec les copains.. Des sculptures/bijoux étaient accrochés à ces vêtements, et même l’affiche de l’expo était elle-même exposée dans le lieu. Et ça c’est vraiment important pour moi. Comme ce que vous avez proposé avec Bouphonie. J’aime bien penser plus largement, fabriquer un environnement, qui parle peut-être à un public plus large. J’ai l’impression que ça pourrait amener à réconcilier l’art et les gens.

J: L’art et la vie quoi …

B: Au final, y a plein de gens qui collectionnent des babioles chez eux. Je réduis pas l’art à des babioles mais… À des objets non fonctionnels : et dans notre société, ça pose question quand ça sert pas. Pourtant tout le monde continue à en collectionner « des objets non fonctionnels », on leur demande pas pourquoi.

J: Vous êtes plusieurs dans l’expo à avoir des pratiques « pluridisciplinaires », « transversales » - ce sont des mots un peu à la mode aussi mais.. Tu crois que c’est générationnel ? Une sorte de nécessité pour se faire connaître, mais survivre aussi ?

B: C’est lié à l’époque. Ça a été déjà là, au début du XXe. Ensuite, on nous a appris à être monotâche. La génération de mes parents, ils ont quasi tous fait le même métier toute leur vie ! L’art, je crois qu’il a été aussi impacté. De ce que j’ai vu des générations précédentes, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’artistes qui font produire. Dans les différentes écoles d’art où j’ai pu aller, on revient au goût de « fabriquer soi-même ». C’est lié sans doute à une forme de résilience quoi : manger local, circuit-court, pas de technologie ou de progrès à tout prix.. C’est ce qui me plaît en tout cas. Quand je vois un objet qui m’intéresse je me demande tout de suite : comment c’est fabriqué ? Comment je peux le fabriquer ? Avec la fonderie, c’est devenu un peu obsessionnel: je passe mon temps à regarder où je peux récupérer de l’aluminium…

J: Maintenant que « Bouphonie « existe, qu’est-ce que ça te fait de confronter tes pièces à d’autres ? Est-ce que ça la détourne de son sens « originel »?

B: C’est une bonne question aussi. Si je fais des objets, c’est aussi parce que je suis un peu énervée par les règles « muséales ». Moi j’aime bien toucher, c’est le jeu de la sculpture aussi. Mon mémoire était un peu axée sur les accidents sur les œuvres d’art, des gens qui marchent sur des Yves Klein, ce genre de choses… Je me suis déjà fait engueulé par des médiateurs parce que je participais « mal » à une œuvre « participative » de Sol Lewitt. Alors que tout le but de son travail, c’est que ça soit déformé, détourné, fait par d’autres. Je trouve ça super énervant. C’est intéressant que d’autres détournent mes pièces, on les vois autrement c’est super important pour évoluer et regarder son travail autrement.. Et c’est cool votre principe, un corps, un objet, un décor : ça marche, ça crée des scènes et forcement ça change les oeuvres, mais pour la bonne cause !

J : Oui, peut-être qu’être à cheval sur l’art et le design, ça te permet de désacraliser tout ça.

B: Complètement! J’adore l’art en espace public aussi. Il y a des sculptures dont je savais pas quoi faire, du coup mes parents l’ont installé dans leur jardin. Je suis trop content que ça soit là bas. Tu te lèves, t’as une sculpture dans ton jardin, ça fait trop plaisir. Si un jour je suis riche et célèbre, j’aurais une forêt de sculptures, c’est sûr. Avec tout mes copains, mes amis artistes (et pas que !) qui feront des sculptures d’extérieures c’est sûr.

J: et concernant l’espace d’expo justement, celle où on est (bouphonie), versus le white cube?

J’irai pas jusqu’à dire que c’est un affront, le lieu est déjà pas complètement un white cube. Par contre il y a des petites choses, comme ces masses de couleurs, le murs, les moquettes, les bancs. Je trouve ça cool de dire « vas y on mets un banc vert, on s’en fout ! ». C’est aussi le plaisir de monter une expo, de la penser toute entière. Limite, j’aurai envie de reprendre des études d’architecture pour pouvoir concevoir mes propres lieux d’exposition, ou une école d’art.. C’est utopique, mais… J’ai travailler sur des chantiers de rénovations et de construction, c’est pire qu’interessant . Une poutre, un mur, une charpente, des canalisations… Comment tout ça tient. C’est important l’environnement qui montre les œuvres, et sortir des conventions d’exposition c’est très important je pense.

1. Exposition "Zum, Zoom, Zoum", lors de notre semestre d’échange à la HGB à Leipzig, en 2016


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